Psychopathologie et conception humaine







Il est souvent très intéressant de se consacrer à l'étude des phénomènes pathologiques pour mieux appréhender la psychologie ordinaire. C'est dans cet état d'esprit que j'ai décidé l'étude de la « psychopathologie de la conception humaine », afin de mieux comprendre la psychologie de la conception humaine, naturelle ou artificielle.

Qu'est-ce que la psychopathologie de la conception humaine ? Il s'agit tout simplement de repérer l'émergence de problématiques psychologiques dès la conception d'un enfant

L'exemple qui a sans doute été le plus étudié, est celui de l'enfant de remplacement. Un enfant est conçu par ses parents, parfois sur le conseil d'un médecin, pour remplacer un enfant qui vient de mourir... Cet enfant n'est pas conçu tout à fait pour lui-même. Il est là pour remplacer un autre, qui est mort voici peu de temps, d'où, dans certains cas, des difficultés psychologiques parfois envahissantes. Quelles sont ces difficultés ? Les psychiatres et les psychologues ont repéré une problématique psychologique qui s'oriente dans deux directions. Ces enfants de remplacement ont des difficultés dans le domaine de l'identité. Maurice Porot explique qu'ils ont été condamnés à un « non-être ». Cela se traduit par exemple par le besoin de se distancer de l'enfant mort, souvent idéalisé par les parents, auquel l'enfant de remplacement est constamment comparé, identifié. Certains enfants de remplacement sont devenus des personnages célèbres, comme Salvador Dali, Vincent Van Gogh, Ludwig von Beethoven, Chateaubriand, Stendhal, etc. La création était précisément un moyen pour eux d'exister en propre… Un autre problème est celui de la culpabilité. L'enfant de remplacement est confronté à la culpabilité d'exister. En effet, il se trouve dans la situation existentielle suivante : si son frère ou sa sœur n'était pas mort, il n'aurait pas été conçu, donc il ne serait pas en vie. De là à se sentir responsable de la mort de l'autre, il n'y a qu'un pas pour l'inconscient. Bien entendu, ce sentiment est absurde, il n'est pas responsable de la mort de son frère ou de sa sœur, mais il ne peut pas, parfois, se débarrasser de ce sentiment qui le hante.

Prenons le temps d'examiner quelques exemples. Voici les propos d'une mère, que rapporte le docteur Brunetière, pédopsychiatre, consulté pour un enfant conçu sur le conseil d'un médecin après la mort d'un autre enfant : « Il est venu au monde parce qu'il le fallait, pour oublier. Il a été fait de force, c'est pas un enfant qui a été désiré. Un jour, j'ai dit à mon mari : on va en faire un. C'était un jour pas comme les autres, c'est comme le jour où quelqu'un prend sa corde pour se pendre". Elle poursuit : Les rapports sexuels ça a été un calvaire, la grossesse ça a été neuf mois de calvaire »…

Salvador Dali raconte combien l'histoire de sa venue au monde fût marquante : « J'ai vécu ma mort avant de vivre ma vie. À l'âge de sept ans mon frère est mort de méningite, trois ans avant que je naisse. Cela ébranla ma mère dans les profondeurs de son être. La précocité, le génie, la grâce, la beauté de ce frère faisait ses délices : sa disparition fut un choc terrible. Elle ne devait jamais s'en remettre. Le désespoir de mes parents ne fut apaisé que par ma naissance, mais leur malheur continuait de pénétrer chaque cellule de leur corps. Dans les entrailles de ma mère, je pouvais déjà ressentir leur angst. Mon fœtus nageait dans un placenta infernal. Leur angoisse ne me quitta jamais... J'ai profondément vécu la persistance de la présence de (mon frère) comme à la fois traumatisme - une sorte d'aliénation de l'affection - et sentiment d'être vaincu. » En réalité, Salvador Dali a été conçu au moment de la mort de son frère. S'il vit sur un mode d’excitation chronique, il semble échapper à la folie. Jusque ses extravagances lui permettent de se dégager du frère mort, comme il le souligne lui-même : « grâce à ce jeu constant de tuer par mes excentricités la mémoire de ce frère mort, j'ai réussi le mythe sublime de Castor et Polux, un frère mort et un autre immortel ».

Il ne faut pas croire pour autant que tous les enfants conçus après la mort d'un enfant précédent sont des enfants de remplacement. C'est surtout lorsque le deuil des parents semble impossible et atteint une dimension de « deuil pathologique » que cette problématique risque de se poser. Toute grossesse après le deuil d'un enfant entraîne un certain nombre de difficultés psychologiques, qu’il est sans doute souhaitable d'accompagner dans bien des cas, et qui ne traduit pas nécessairement une pathologie, mais plutôt un processus adaptatif douloureux, à considérer pour ainsi dire comme normal. Ainsi, il est normal qu'une grossesse après deuil ravive de l'anxiété, réveille le deuil de l'enfant précédent, se manifeste par une difficulté d'attachement à l'enfant à naître (par crainte de le perdre), etc. Il est probablement plus pathologique, que ces angoisses, cette tristesse d'avoir perdu un enfant auparavant, ne soient pas présentes… D'où l'intérêt de bien connaître ces problématiques pour les accompagner à bon escient, sans dramatiser les phénomènes d'allure pathologique qui peuvent se présenter.

La psychopathologie de la conception humaine ne se limite pas aux questions de l'enfant de remplacement et des grossesses après deuil... Certaines situations extrêmes nous aident à comprendre la place qu'occupe la conception dans le développement psychologique. On se doute qu'un enfant conçu après un viol ou un inceste porte un poids psychologique particulier. La grossesse de la mère n'est pas non plus une grossesse ordinaire et on pressent les difficultés à venir. Ici, la littérature scientifique est bien plus pauvre, et il est impossible de conclure à un trouble psychologique spécifique. Le développement psychologique qui va succéder dépend de facteurs tellement nombreux. J'ai seulement remarqué pour ma part, à travers quelques cas, une culpabilité à exister... On peut ainsi étudier la psychopathologie de la conception humaine selon différents axes. Certaines conceptions sont niées, dans le cadre du déni plus large de l'ensemble de la grossesse. C'est la question des négations de grossesse, tellement mise en avant dans la presse en ce moment, à juste titre, car il importe de connaître ces phénomènes particuliers. Il faut également se poser la question de la biographie des êtres humains conçus, biographie qui prend en compte l'histoire de la conception.

L'être en gestation évolue également dans un environnement psychoaffectif donné. Lorsque sa mère, ou ses deux parents, sont atteints de pathologies psychiatriques sévères, nous nous doutons que la grossesse s'effectue déjà selon des données psychologiques particulières...

C'est l'ensemble de ces données que la psychopathologie la conception humaine tente de rassembler, afin de mieux comprendre la place qu'occupent la conception et la grossesse dans le développement psychologique de l'être humain conçu.

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